Homélie du jour de Pâques 17 avril 2022
Article mis en ligne le 26 avril 2022

par MJG

Pâques.

Madeleine, Pierre, Jean et moi.

On m’appelle Madeleine, mais mon nom c’est Marie. On m’a prêté de mauvaises fréquentations, avant de Le connaître, des pleurs interminables, après L’avoir perdu. C’est vrai que j’éprouvais pour le rabbi quelque chose de tendre et de puissant, la gratitude. Tout a commencé, il y a 2-3 ans, quand j’ai versé du parfum sur ses pieds. J’avais tant à me faire pardonner, et il l’a fait. Il m’a rendu ma dignité.
Ce matin, je pensais que tout était fini, quand je me suis rendu au tombeau pour embaumer son corps. Il faisait sombre dans le ciel et dans mon âme. J’ai vu la pierre qui fermait l’entrée : elle était enlevée. Je n’ai pas eu besoin d’aller plus loin. J’ai tout laissé, mes larmes, mes parfums, le deuil. J’avais tellement envie d’y croire, croire à ce qu’il racontait sur le chemin et qu’on avait du mal à comprendre. On se disait : « Le maître est triste, il a de drôles d’idées, il nous parle de son départ, il nous dit qu’il reviendra. » On ne comprenait pas tout, mais on était saisi par sa parole. On était bien avec lui. C’est comme si tout était possible, tout était remis, les dettes, les peurs, le péché.
Nous étions plusieurs femmes à le suivre, en plus des disciples. Ça nous a menés à Jérusalem. L’enthousiasme montait. La haine aussi. Les grands avaient juré sa mort. Pourquoi ont-ils fait ça ?… ça, c’est-à-dire le jugement, le supplice, la mort en croix, ce vendredi. J’y étais, avec Marie, sa mère, et l’autre Marie. Rien d’étonnant, les femmes sont les gardiennes de la vie : les premières au berceau, les dernières au tombeau. Sauf que la pierre a été roulée. Maintenant, je ne sais plus trop où j’en suis. Il faut absolument que je parle aux disciples.

Je m’appelle Pierre. Ou plutôt, c’est ainsi qu’il m’a appelé. Il m’a dit : « Simon, désormais tu seras Pierre. Le roc sur lequel je bâtirai mon Église. » C’était un peu gros, n’est-ce pas ? Moi, le pécheur de Galilée, le premier des douze, le chef des apôtres. Quelque part, j’en étais assez fier. Il faut dire que, pour une fois, je m’étais mis en avant pour la bonne cause, j’avais crié : « Tu es le Messie, le Fils du Dieu vivant ! » Oui, j’ai dit ça, poussé par Dieu sait quoi. Avec la même spontanéité, il y a trois jours, j’ai protesté de ma fidélité : « Je donnerai ma vie pour toi. » Quel gâchis ! Comme j’ai mal rien que d’y penser…
Tout s’est écroulé avec son arrestation. J’avais peur, je me suis caché, comme les autres ; trois fois j’ai prétendu ne pas le connaître. Quand le coq a chanté, mon cœur s’est glacé. J’ai lâché mon ami. Je ne me le pardonnerai jamais… Pourtant quand il m’a choisi, il s’avait à quoi s’en tenir. Il savait ce que j’avais dans le ventre, ma générosité, mon inconstance ; là où il est, il doit savoir ce que j’ai sur le cœur…
Et puis, il y a ces racontars de bonne femme : « On a enlevé le Seigneur, nous ne savons pas où on l’a mis ! » Ni une ni deux, Jean a détalé. Il a la jeunesse pour lui. Moi j’ai suivi, au début, par curiosité, et puis, je ne sais pas ce qui m’a pris, j’ai pressé le pas. J’ai même couru, à la fin, un pressentiment, une folie. Marie avait raison : la tombe était vide, le linge, soigneusement plié. Est-ce qu’on laisse tout en ordre quand on subtilise un cadavre ?… Et si c’était vrai, le temple relevé en trois jours, le Royaume qui n’est pas de ce monde, le Fils de l’homme, le Père qui l’a envoyé... J’en suis tout remué.

Jean, c’est moi. Le disciple bien-aimé, d’après l’Évangile. Au dernier repas, j’étais contre sa poitrine. Trois ans que je suis tourné vers lui, vers les secrets de son cœur. Les autres se moquaient gentiment de moi, de mes intuitions, de mon côté mystique. Avec lui, je serai allé n’importe où, au bout du monde. Le Verbe s’est fait chair. Et il m’a pris au mot. Avant-hier, j’étais au bout d’un monde de douleur, avec lui, au Calvaire. Là, j’ai reçu Marie pour mère, j’ai reçu la révélation du Cœur ouvert. Et il en a jailli le sang et l’eau, le sang du sacrifice et l’eau de la création nouvelle, le sang de l’eucharistie et l’eau du baptême.
Moi Jean, j’en suis témoin. Dans la langue d’Israël, mon prénom signifie : Dieu donne, Dieu fait grâce… Aujourd’hui, Dieu m’a fait la plus belle grâce de ma vie. Arrivé le premier au tombeau, je me suis effacé devant Pierre. Normal, c’est l’aîné, celui qui a été mis à la tête de la communauté. Il était tout chose quand je l’ai rejoint dans le sépulcre. Il n’y avait rien à voir, rien, vous m’entendez ? De mes yeux j’ai vu le vide, l’absence, l’espace libre, l’espoir libéré. J’ai vu et j’ai cru. La vie est ailleurs. Je n’ai pas les mots pour le dire, mais je sais, je sais qu’Il est ressuscité.

Et moi, je suis dans cette église, assis sur un banc un peu raide, à me demander où le prédicateur veut en venir. J’assiste à la Messe, comme de coutume, c’est dimanche et c’est Pâques. Pourtant, il y a plus qu’une habitude, il y a en moi un désir, une attente, confuse et persistante. Je sens monter en moi une sève, un sang neuf, un appel à vivre mieux, à la réconciliation, à la paix intérieure ; j’en ai besoin, je prie pour ça. Je ne suis pas plus malin que Pierre, pas plus spirituel que Jean et sûrement pas plus aimant que Madeleine. Moi aussi j’ai des bouts de moi qui pleurent, des retours en arrière, des peurs, des vanités, et des élans insoupçonnés. Tel que je suis, j’ai à me faire pardonner, à me faire aimer, à me faire envoyer.
J’ai bien dit envoyé, pour leur dire, à tous ceux du dehors, que l’Amour n’est pas mort. Que l’Espérance est le plus sacré dans l’homme. Que la foi est un doute surmonté, une confiance accordée, une ouverture à la vérité. Je leur dirai qu’elle est pour eux cette Église de pécheurs, celle des filles perdues, des renégats et des petits derniers, celle de Madeleine, Pierre et Jean, pas celle de Caïphe et autres bien-pensants. Elle est née de la croix et du tombeau ouvert, humble et servante, cette Église que certains veulent égratigner ou ignorer. Ça fait 2000 ans que ça dure et le salut est plus attendu que jamais.

Madeleine aurait fini ses jours dans une grotte, à la Sainte-Baume. Pierre a été crucifié à Rome, en 64, la tête en bas. Jean s’est éteint à Éphèse, au début du IIe siècle. Leur existence a été transformée depuis ce dimanche-là. Qu’y a-t-il de commun entre eux et nous ? Une rencontre, une passion, une histoire de mort et de résurrection ! Celui qui leur a brûlé le cœur est toujours vivant. Son Cœur bat pour nous, aujourd’hui comme hier et pour l’éternité.
Alors, moi, vais-je le reconnaître dans la parole révélée et la fraction du pain ainsi que dans le visage de mes frères ? et vais-je partager, annoncer aujourd’hui la Bonne Nouvelle de Pâques, aujourd’hui, demain et toute ma vie ?

Il était mort, il est vivant ; lui Jésus, le compagnon de nos vies, le Christ notre Pâques ! Christ est vraiment ressuscité, alléluia !

Abbé Thierry